« Vider son sac » et autres expressions juridiques

On les emploie communément sans savoir d’où elles viennent. Ces expressions sont nées dans les salles d’audience et racontent, à leur façon, l’histoire de la justice. 

  

Rester sur le carreau 

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Le carreau et le parquet de la première Chambre civile du Tribunal de Grande Instance de Paris. Flickr/RemiJDN/CC

Sous l’Ancien Régime, l’accès aux chambres d’audience est contrôlé par des huissiers. Ils en ouvrent les battants, ou au contraire maintiennent les « huis clos », c’est à dire les portes closes. Une fois dans le prétoire, les huissiers supervisent l’accès au « parquet », le sol boisé réservé à la cour. Ceux qui ne sont pas autorisés à s’y asseoir doivent demeurer sur le sol pavé, carrelé de la salle. Ils restent sur le carreau.

Aujourd’hui, l’expression a perdu son sens judiciaire, mais l’idée de mise à l’écart, de délaissement, y est toujours associée.

A tour de rôle 

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Rouleaux de parchemin. Flickr/Gotama2.0/CC

Au temps de la monarchie, la justice est une affaire royale. Et, quand sa majesté rend justice, nombreux sont les sujets qui se pressent pour être entendus. Afin d’éviter la cohue, les demandes en justice doivent être inscrites sur un rouleau de parchemin, appelé « rôle ». C’est le rôle qui détermine l’ordre de passage : les plaideurs sont introduits devant le Roi dans l’ordre d’inscription, à mesure que le rôle est déroulé, « à tour de rôle».

Les rouleaux de parchemin ont disparu depuis longtemps des tribunaux de justice, remplacés par des chemises en carton et des systèmes informatiques. Plus question donc de dérouler un rôle. L’expression, elle, a survécu, et désigne toujours l’idée d’ordre de passage.

Etre sur la sellette 

L'accusé est sur la sellette. (Source: Le Cercle du Barreau )

L’accusé est sur la sellette. (Source: Le Cercle du Barreau )

Mal à l’aise, le prévenu se trémousse. Il baisse les yeux, tord ses mains avec angoisse. Il reste d’une immobilité de pierre, ou tente au contraire de trouver une assise plus confortable. Vaine tentative, car le siège sur lequel on l’a fait asseoir est volontairement inconfortable. Il est, littéralement, sur la sellette, petit siège de bois réservé aux prévenus. Particulièrement inconfortable et basse, la sellette est humiliante. Assis plus bas que les juges, l’accusé est en position d’infériorité alors qu’on l’interroge.

« Asseyons sur la sellette celui qui se plaçait sur un trône », déclara Robespierre lors de la mise en accusation de Louis XVI. La sellette avait pourtant été abolie en 1788, mais l’idée d’humiliation y restait associée.

Disparue des prétoires, l’expression a pris un tour métaphorique : être sur la sellette, c’est être dans une situation inconfortable, risquée. Mettre quelqu’un sur la sellette, c’est l’interroger d’une manière insistante, comme le ferait un juge.

L’affaire est dans le sac

Ces sacs-là n'ont pas encore été vidés. Photo: Archives Nationales.

Sacs de procédure en jute. Photo: Archives Nationales.

Si l’affaire est aujourd’hui dans le sac, c’est grâce aux cours de justice de l’Ancien Régime. A une époque où les documents étaient écrits sur des rouleaux de papier, ils étaient conservés dans des sacs de jute. Tant que l’affaire était en cours, les sacs étaient accrochés au mur, et on disait que l’affaire était pendante.

Une fois l’affaire jugée, les différentes pièces du procès étaient glissées dans l’un de ces sacs pour être archivées. Le juge pouvait alors déclarer « l’affaire est dans le sac » pour signifier que le procès était classé et qu’on n’y reviendrait plus. Quelques siècles et abus de langage plus tard, le tour est joué : voilà l’expression passée dans le langage commun pour désigner une entreprise dont l’issue ne fait plus de doute.

Vider son sac

Archives Nationales

Photo: Archives Nationales

Si, de nos jours, c’est l’accusé qu’on pousse à vider son sac, autrefois c’était son avocat qui devait se prêter à l’exercice. Au sens littéral.

Comme la précédente, cette expression provient des sacs de jute conservant les documents d’une affaire. Au moment de prendre la parole, il sortait les documents nécessaires à sa plaidoirie de ces sacs de procédure afin de fournir les pièces requises pour défendre son client.

De nos jours, lorsqu’on vide son sac, que l’on soit prévenu ou non, on avoue une chose cachée, on dit ce que l’on pense sans détour. Au risque de blesser, ou de se faire du tort à soi-même.

Phalène Baudin de la Valette et Emilienne Malfatto 

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